30. Mai 2022

Wirtschaftsrecht

La protection des données personnelles dans le cadre de l’entraide internationale en matière pénale et fiscale*

La protection des données personnelles dans le cadre de l’entraide internationale en matière pénale et fiscale*

Von Clara Poglia

Lors d’une procédure d’entraide internationale, les autorités de l’État requis qui donnent suite à la demande de l’État requérant sont amenées à fournir à celui-ci divers renseignements, dont certains s’avèrent parfois être des données personnelles non pertinentes relatives à la personne concernée ou à des tiers non parties à la procédure. Il existe une tension constante entre, d’un côté, l’intérêt à la coopération dans un contexte de politique internationale et, de l’autre, l’intérêt à la protection des droits individuels des justiciables.

Le présent article a pour but de présenter l’articulation entre ces deux considérations, souvent antagonistes, en fournissant une vue générale des différents mécanismes de protection à disposition des justiciables dans les procédures d’entraide en matière pénale et fiscale, puis par un examen de leur mise en œuvre du point de vue des tiers à la procédure.

Protection légale

Seront abordés successivement les protections conférées par les principes généraux, puis par les dispositions sur la protection des données.

Les principes généraux

Les principes généraux régissant le droit de l’entraide sont semblables en matière pénale et en matière fiscale, mais leurs modalités d’application différentes. Alors que ces principes ont pour but de protéger les droits des justiciables, les impératifs de coopération internationale conduisent les autorités administratives et judiciaires suisses à les interpréter de manière différente et généralement restrictive. Les principes généraux clé suivants peuvent être mis en exergue.

En vertu du principe de la proportionnalité, l’entraide ne peut être accordée que dans la mesure nécessaire à la découverte de la vérité recherchée par les autorités pénales ou fiscales de l’État requérant. En matière d’entraide pénale, ce principe s’apprécie sous l’angle de l’utilité potentielle: les autorités de l’État requis fournissent toutes les informations, à charge et à décharge, susceptibles d’être utiles à l’enquête menée par les autorités de l’État requérant. Les informations relatives à des tiers ne sont généralement pas caviardées, car potentiellement pertinentes pour l’enquête. En outre, la transmission d’informations peut également porter sur des données non nécessairement sollicitées par les autorités étrangères dans l’éventualité où les autorités requises suisses, dans le cadre de l’exécution de la demande d’entraide, devaient identifier des informations, notamment en lien avec un compte bancaire non mentionné dans la demande d’entraide, potentiellement intéressantes pour l’enquête étrangère. Le concept de l’utilité potentielle est donc très large. En matière d’entraide fiscale, c’est le principe plus restrictif de la pertinence vraisemblable qui est déterminant: les informations transmises sont celles qui sont pertinentes, sous l’angle de la vraisemblance, pour évaluer la situation fiscale de l’administré. Dans cette mesure, les informations concernant des tiers sont généralement anonymisées ou caviardées, car non pertinentes.

Le principe de la spécialité veut que les informations fournies dans le cadre d’une procédure d’entraide ne soient utilisées par l’État requérant que dans le cadre de la procédure pour laquelle l’entraide a été requise. En matière d’entraide pénale, ce principe est limité du fait que les informations transmises peuvent être utilisées pour la poursuite d’autres infractions et d’autres prévenus, voire à d’autres fins encore si l’État requis y donne son approbation. La seule limite d’utilisation réside ainsi dans les cas pour lesquels l’entraide est exclue pour cause d’irrecevabilité de la demande. En matière d’entraide fiscale, ce principe est interprété de manière plus restrictive en ce sens que les informations communiquées ne peuvent en principe être utilisées que dans le cadre de la procédure fiscale à l’encontre de la personne concernée, et non contre des tiers. Il est toutefois admis que ces informations peuvent être utilisées dans le cadre d’une procédure pénale fiscale à l’encontre de la personne concernée avec l’accord de l’Etat requis.

Dispositions sur la protection des données

La loi fédérale sur la protection des données (LPD) n’est pas applicable en matière d’entraide pénale. Cela étant, l’EIMP comporte de nouvelles dispositions, entrées en vigueur le 1er mars 2019 afin de répondre aux exigences européennes du General Data Protection Regulation (GDPR), concernant la protection des données personnelles, notamment en ce qui concerne les droits d’accès, de rectification et d’effacement des données. Ces dispositions n’offrent toutefois que peu de prérogatives et possibilités de mise en œuvre pratique aux justiciables, l’accent étant à nouveau mis sur une coopération internationale aussi large que possible.

A titre d’exemple, il est prévu qu’aucune donnée personnelle ne peut être communiquée si la personnalité de la personne concernée devait s’en trouver gravement menacée, notamment du fait de l’absence d’un niveau de protection adéquat. Toutefois le champ d’application de ce principe est largement réduit du fait qu’il n’est pas applicable lorsque l’autorité requérante est située dans un État lié par les accords Schengen ou lorsqu’un traité international accorde une entraide plus large, conformément au principe de faveur. La plupart des traités internationaux ne prévoyant pas de dispositions concernant la protection des données personnelles, le principe de faveur permet ainsi d’éluder très souvent les dispositions sur la protection des données contenues dans l’EIMP.  De plus, il existe des dérogations à ce principe, notamment lorsqu’il s’agit de prévenir, constater ou poursuivre une infraction ou pour exécuter une décision pénale pour autant qu’aucun intérêt digne de protection prépondérant de la personne concernée ne s’oppose à la communication. La formulation de cette disposition semble englober toutes les situations pour lesquelles l’entraide est généralement demandée de sorte que le champ d’application de cette dérogation paraît ainsi extrêmement restreint voire inexistant.

En matière d’entraide fiscale, la LPD n’est pas applicable lorsque les dispositions d’une convention internationale ou d’une loi spéciale, par exemple la loi fédérale sur l’assistance administrative fiscale (LAAF), offrent une protection équivalente. Ainsi, la LAAF prime la LPD, ce qui a pour conséquence de diminuer la protection conférée aux administrés dans la mesure où seul le critère de la pertinence vraisemblable est pris en considération pour la transmission de données. L’examen imposé par la LPD s’agissant du niveau de protection adéquat assuré par la législation de l’État requérant n’est ainsi pas effectué. Une fois de plus, la position des justiciables est affaiblie.

Protection des tiers

En matière d’entraide pénale internationale, lorsque la Suisse est requise par un État étranger de lui accorder l’entraide, les tiers, notamment les personnes mentionnées sur la documentation devant être transmise, ne sont en principe pas au courant qu’une procédure est en cours. Des données personnelles les concernant peuvent ainsi être transmises sans qu’ils n’en soient informés. De plus, ces tiers ne disposent généralement pas de la qualité pour recourir, puisqu’ils ne sont en principe pas personnellement et directement touchés par la mesure d’entraide. Dans le cas de transmission de documentation bancaire, seul le titulaire du compte bancaire a qualité pour recourir contre une décision de clôture admettant l’entraide. Les protections qui sont accordées aux tiers sont ainsi en pratique presque impossibles à faire valoir en justice. Lorsque la Suisse requiert d’un État étranger qu’il lui accorde l’entraide, les tiers ne disposent en Suisse d’aucune voie judiciaire propre pour faire valoir leurs droits.

En matière d’entraide fiscale, les données des tiers non concernés ne sont transmises que si elles sont vraisemblablement pertinentes. À défaut, les données doivent être caviardées. En réformant une décision plus large du Tribunal administratif fédéral, le Tribunal fédéral a estimé que, lorsque l’autorité suisse envisage de transmettre à l’État requérant des données de tiers non concernés, ceux-ci doivent être informés de la procédure lorsqu’ils disposent de manière évidente de la qualité pour recourir. Tel n’est pas le cas si le nom du tiers non concerné figure simplement sur la documentation transmise. Dans la mesure où ils ne sont que rarement informés de l’existence de la procédure, il est dès lors très difficile pour les tiers non concernés de faire valoir leur droit à la protection et au caviardage de leurs données personnelles ainsi que de faire vérifier la pertinence vraisemblable des données transmises au regard de la demande d’entraide.

Conclusion

Si une certaine protection des données dans le cadre des procédures d’entraide en matière pénale et fiscale est bien ancrée dans la législation suisse, en particulier dans l’EIMP suite à l’adoption du GDPR au sein de l’Union européenne, force est de constater que les effets concrets de cette protection législative sur la situation des justiciables sont fort limités.

Les objectifs à l’origine d’une coopération extensive, dans les deux domaines susdits, sont sans aucun doute louables, celle-ci visant respectivement à lutter contre la criminalité internationale et à garantir une collecte des recettes fiscales efficace. Ces buts honorables ne doivent néanmoins pas justifier que les droits des individus soient sacrifiés en toute circonstance. Les Etats avec lesquels la Suisse est amenée à collaborer ne sont en effet pas toujours en mesure de garantir des systèmes exempts de critiques que ce soit d’un point de vue judiciaire ou de la protection des données. La LPD ne fournit guère plus de garantie puisque son importance dans le domaine de l’entraide internationale en matière pénale et fiscale est presque inexistante. Enfin, la mise en œuvre restrictive des droits accordés aux justiciables empêche souvent purement et simplement à ceux-ci soit d’accéder aux tribunaux soit de bénéficier d’une réelle protection.

Il est ainsi important que nos autorités ne perdent pas de vue, dans l’analyse des dossiers qu’elles sont amenées à traiter, les risques et conséquences que les décisions prises dans le cadre de l’entraide ont sur les individus impliqués, surtout lorsque ceux-ci sont basés dans des pays ne garantissant pas ou pas entièrement le respect des règles du procès équitable ou une protection des données suffisante.

Autorin: Clara Poglia

Clara Poglia est associée auprès de l’Etude Schellenberg Wittmer où elle co-dirige le département contentieux du bureau de Genève. Elle est spécialisée dans les domaines de la criminalité en col blanc, du droit pénal économique et compliance, des enquêtes internes et de l’entraide judiciaire. Clara Poglia conseille et représente des personnes physiques et morales dans des procédures pénales, administratives et civiles tant devant les autorités et tribunaux cantonaux que fédéraux.

* Die meisten Blogbeiträge erscheinen in Deutsch. Ausnahmsweise erscheinen Beiträge auch in Englisch und Französisch, den Sprachen, in denen Schweizer Expertinnen und Experten in der Bekämpfung von Wirtschaftskriminalität häufig arbeiten.

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